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Provenance d’un fauteuil attribué à Georges Jacob

Retracer la provenance et les péripéties d’un siège relève le plus souvent d’une mission difficile, voire impossible. Néanmoins, il arrive que certains d’entre eux gardent des traces de leur passage dans des collections privées, le Garde-Meuble royal ou le Mobilier impérial. Le fauteuil dont il est question dans cet article fit partie de la prestigieuse collection de Jean-Charles Séguin (1857-1908), descendant d’une grande famille d’industriels originaires d’Annonay. Lors de ses nombreux voyages, il avait rassemblé, pour sa collection, de nombreuses œuvres d’art, dont des pièces du Moyen-Âge, de la Renaissance et du XVIIIe siècle.

Ce fauteuil cabriolet à dossier en fer à cheval, avec des consoles d’accotoir décorées d’une feuille d’acanthe, repose sur quatre pieds en console, ornés eux aussi d’une feuille d’acanthe. La ceinture, simplement moulurée à l’extérieur, est élégie sur son revers. Ce style et cette technique sont à rapprocher de la production de Georges Jacob (1739-1814) malgré l’absence d’estampille. Des sièges similaires, estampillés ou attribués au célèbre menuisier parisien, font aujourd’hui partie de collections privées ou publiques. Il y a, par exemple, les chaises livrées entre 1777 et 1779 pour le comte d’Artois au château de Maisons, ou encore ces chaises, aujourd’hui à Fontainebleau, ayant aussi appartenu au frère de Louis XVI.

Fauteuil attribué à Georges Jacob – Vue 3/4
Ancienne collection Jean-Charles Seguin
Fauteuil attribué à Georges Jacob – Vue 3/4
Ancienne collection Jean-Charles Seguin
Fauteuil attribué à Georges Jacob – Vue arrière
Ancienne collection Jean-Charles Seguin
Fauteuil attribué à Georges Jacob – Vue avant
Ancienne collection Jean-Charles Seguin

Ce fauteuil, attribuable à Georges Jacob, révèle ses secrets en le retournant. À l’intérieur de la ceinture apparaissent deux marques au pochoir « MI 346 » et « 1077 », ainsi qu’une estampille au fer « MR CV ».

Marque au pochoir MI 346
Marque au pochoir 1077
Estampille MR CV

Comme nous l’a appris Renaud Serrette, inspecteur des collections des manufactures nationales, Sèvres et Mobilier national, MI fut la marque utilisée entre 1807 et 1808 par le Mobilier impérial pour son inventaire. Dans les registres des entrées et des sorties du garde-meuble impérial, nous avons pu retrouver le numéro 346 brièvement décrit :

Fauteuils garnis bois peint velours jaune

Ils furent envoyés par M. Rible, concierge, au palais de Fontainebleau le 16 septembre 1807. Le fauteuil a depuis été décapé, mais il garde toujours quelques traces de peinture au niveau de la ceinture. Cette description succincte peut laisser des doutes sur la correspondance entre le numéro du registre et celui du fauteuil. Nous avons donc retrouvé, dans les collections publiques, trois sièges avec une marque MI afin de les confronter à la description associée au numéro d’inventaire :

Inventaire MI 316 : « chaise bois peint velours jaune »
GMT 8372/001 © Mobilier national
Inventaire MI 277 : « fauteuil acajou dossier mosaïque et à jour les fonds garnis en tissu »
GMT 3542/005 © Mobilier national
Inventaire MI 294 : « bergère bois idem [acajou] couverte idem [damas bleu gris et blanc] »
GMT 31674 © Mobilier national

Ces exemples confirment qu’il s’agit du bon registre, et que les descriptions sont bien celles des numéros liés à la marque MI retrouvée sur les sièges. Notre fauteuil est bien celui envoyé à Fontainebleau en 1807. Toutefois, la marque 1077 ne correspond pas à un numéro du mobilier impérial. Les recherches effectuées dans les inventaires de Fontainebleau par Vincent Cochet, conservateur en chef du château de Fontainebleau, ont confirmé que les fauteuils avaient été transférés avant 1817, probablement au château de Versailles, expliquant la présence de l’estampille MR CV. Cette marque au fer, pour Mobilier Royal du Château de Versailles, est celle du mobilier du château sous la Restauration appliquée entre 1817 et 1820. Dans l’inventaire du château de Versailles de 1817, sous le numéro 1077, Christine Desgrez, chargée d’études documentaires au château de Versailles, a retrouvé cette mention :

Deux fauteuils en bois peint, pieds en console dossier cabriolet carreaux de plume velours d’Utrecht jaune dessin pensée clous dorés, galon à lame

La description est ici beaucoup plus détaillée et correspond parfaitement au fauteuil avec ses pieds en console et son dossier en cabriolet. L’inventaire nous apprend aussi sa localisation dans la chambre de l’adjudant du château. La garniture fut sans aucun doute remplacée à de nombreuses reprises depuis cette époque. D’après les registres de sorties, les fauteuils quittent Versailles le 23 octobre 1829 pour être remis à l’intendance, mais leur retour au garde-meuble n’a pas été retrouvé à cette date. La suite de l’histoire de ce fauteuil demeure inconnue jusqu’à son entrée dans les collections de Jean-Charles Séguin à une date indéterminée.

Eric Detoisien, Renaud Serrette

Nous tenons particulièrement à remercier Renaud Serrette, Vincent Cochet et Christine Desgrez pour leur aide précieuse.